L’accusation silencieuse


Alice fixait ses pieds d’un air absent. Elle n’avait pas fermé l’oeil de la nuit, à tel point que le
carrelage blanc dont le sol était composé semblait onduler dans son champ de vision.
Soudain, elle tressaillit. Une douleur violente venait de faire irruption dans le dos de sa main droite,
à l’endroit précis où ses ongles s’étaient profondément enfoncés.


Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir désert de l’hôpital. Alice eut tout d’abord l’impression
qu’ils provenaient d’un autre monde, mais ils se firent de plus en plus précis tandis que les secondes
s’égrainaient au rythme des battements de son coeur. Au-dessus de sa tête, la lumière bleuâtre d’un
néon s’éteignit brusquement et se ralluma de manière hésitante. Il semblait livrer un combat
silencieux contre la mort. Mais après un dernier grésillement, presque lâché comme un soupir
résigné, la lueur disparut pour de bon.
Deux chaussures noires parfaitement cirées venaient d’apparaître sous le nez d’Alice, et la jeune
femme leva la tête. L’homme qui se trouvait en face d’elle devait avoir à peine trente ans, mais son
visage aux traits tirés par la fatigue lui en donnait facilement vingt de plus. Aucun dialogue ne fut
nécessaire entre les deux adultes. Juste un simple regard.

Tout le corps d’Alice fut alors secoué de tremblements incontrôlables. Le temps s’arrêta. Plus aucun
son ne parvenait à ses oreilles. Elle n’entendit rien de ce que l’homme lui criait lorsqu’elle se leva
d’un bond pour courir vers la sortie. Alice se retrouva seule, seule au milieu de l’immense parking,
et s’enfonça en titubant dans la froideur silencieuse de la nuit.
Les flocons de neige tourbillonnaient mollement autour d’elle. Tout à coup, Alice sentit ses jambes
céder sous le poids de son corps et tomba à genoux dans la poudreuse humide. Alors, elle releva la
tête en arrière, comme si sa nuque n’avait plus la force de la soutenir, et poussa un cri inhumain.
Tout le désespoir qu’elle avait contenu jusqu’à ce moment explosa violemment, tandis que les
larmes inondaient son visage et imprégnaient ses lèvres d’un goût salé. Mais son cri n’était pas
seulement la plainte d’une personne lacérée par les griffes de la souffrance. C’était une accusation,
une sourde accusation envers ce monde.
Celui que sa fille venait de quitter.

 

Pseudo-auteur : Soman Nisbejin

3 réflexions sur “L’accusation silencieuse

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